Apprendre à se reposer.
Ça peut paraître étrange vu que le repos, normalement, fait partie d’un système d’équilibre, d’homéostasie, de récupération du corps et de l’esprit, mais il n’est pas si évident pour chacun de s’offrir des moments de repos.
Un historien qui s’appelle Alain Corbin s’est questionné sur le repos (Histoire du repos – Plon). Il reprend les mots du philosophe Alain et nous dit : « C’est dans les moments de repos que l’on sait à quoi on pense ». Mais Alain Corbin nous alerte aussi sur le fait que le sommeil n’est pas du tout le repos, donc ne comptons pas juste sur nos périodes de sommeil pour vraiment nous reposer ! D’après le philosophe Alain, ce repos nécessite une conscience, une présence.
Dans l’histoire de nos sociétés, le repos, nous rappelle Alain Corbin, a été par exemple associé au repos éternel près de Dieu. L’humanité a vécu plus de mille ans à l’écoute des sermons invitant à faire son salut. C’était donc une croyance en la transcendance, le repos nous amenait à aller vivre cette transcendance. Puis Thérèse D’avila, un peu plus tard en 1600, nous invite à la tranquillité de l’âme. Mais elle est très vite contrée par des chrétiens qui disent que attention à cette tranquillité de l’âme ! Nous devons rester en alerte pour ne pas tomber dans l’acédie, qui est l’assoupissement de l’âme. Donc le repos ne doit pas être un moment de tranquillité.
Ensuite à l’époque de la Renaissance, notamment pour Montaigne, le repos est associé à la vieillesse. Elle se trouve valorisée comme un arc stoïcien de la préparation à la mort. Le vieux, devant trouver lectures, des promenades, aménager son logis, donc se retirer : se retirer pour se préparer à la mort.
Puis au XVIIème siècle, il y a vraiment l’idée par les moralistes de cette nécessité de se retirer. On entend le premier mot « retraite ». Donc vraiment se retirer et l’antonyme du repos n’est pas alors la fatigue mais l’agitation : se retirer de l’agitation. Blaise Pascal note ainsi que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
Dans les années 1700, le repos nous permet de nous sortir de tous ces questionnements sur la mort, sur la transcendance, sur la nécessité de trouver son salut et au contraire le repos devient mondain. Dans les maisons, on retrouve du mobilier, on appelle ça les commodités : des fauteuils confortables, des rocking-chairs, des transat, et notamment Rousseau dans Les Rêveries du Promeneur Solitaire loue ces moments de vagabondage et de liberté. C’est un repos mais avec d’autres personnes donc ce n’est plus se retirer mais au contraire c’est un repos partagé qui nous empêche de nous questionner sur la mort.
Alors à quel moment le repos a pris ce contre-pied à la fatigue ? C’est pendant les deux révolutions industrielles au XVIIIème siècle qu’ont été instaurées les 3/8 : 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures de sommeil. Dès lors ce n’est plus un temps choisi de retour sur soi mais un temps légal.
Le surmenage, comme nous le rappelle Alain Corbin, nous a complètement aplani l’histoire du repos. On a oublié d’où venait ce mot et à quoi ils servait et aujourd’hui le repos c’est vraiment récupérer de nos fatigues, de nos vies intenses, si bien que lorsqu’on évoque désormais l’âge de la retraite, donc le fait de se retirer, ce n’est pas pour se vouer à Dieu, ce n’est pas pour se préparer à la mort mais c’est vraiment évoqué au nom du délabrement physique du travailleur. Les retraités à notre époque n’aspirent plus à quitter l’agitation sociale, ils veulent plutôt prendre le temps de se plonger complètement dans le monde, dans l’agitation du monde.
En attenant la retraite, nous avons besoin de plages de repos et peut-être d’un retour sur soi, à une prise de conscience de nos vides intérieurs. L’agitation nous fait parfois passer à côté de notre espace intérieur, et par peur d’entendre ces murmures dans le silence on ne se repose pas et on reste dans l’agitation. Donc il faut absolument s’apaiser avec son espace intérieur, se rendre compte que c’est un espace de vie, de béance, mais que dans cet espace, il y a aussi tout l’espace de la créativité, du renouveau possible. Donc apprenons à nous reposer, apaisons nous avec ce sentiment de repos, ne nous culpabilisons pas, ce n’est pas un assoupissement de l’âme le repos, mais c’est vraiment une nécessité d’un point de vue physiologique, mais aussi dans notre parcours d’humain dans notre incarnation.
En yoga, le repos c’est aussi savoir souffler, c’est prendre du recul, mettre à distance, et stimuler le système parasympathique. Nous sommes en déficit d’expiration. Nous sommes beaucoup trop agressé par le stress et souvent notre diaphragme reste en posture crispée, en posture contractée comme si on était toujours prêt à se batailler contre les agressions extérieures, donc il est vraiment important de pouvoir souffler.